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D'ailleurs, les poissons n'ont pas de pieds - Jon Kalman Stefansson

Publié le par Véronique B.

D'ailleurs, les poissons n'ont pas de pieds - Jon Kalman Stefansson

«Elle est plus belle que tout ce qu'il a pu voir et rêver jusque-là, à cet instant, il ne se souvient de rien qui puisse soutenir la comparaison, sans doute devrait-il couper court à tout ça, faire preuve d'un peu de courage et de virilité, pourtant il ne fait rien, comme s'il se débattait avec un ennemi plus grand que lui, plus fort aussi, c'est insupportable, il serre à nouveau les poings, récitant inconsciemment son poème d'amour. Elle s'en rend compte et lui dit, si je dénoue mes cheveux, alors tu sauras que je suis nue sous ma robe, alors tu sauras que je t'aime.» Ari regarde le diplôme d'honneur décerné à son grand-père, le célèbre capitaine et armateur Oddur, alors que son avion entame sa descente vers l'aéroport de Keflavík. Son père lui a fait parvenir un colis plein de souvenirs qui le poussent à quitter sa maison d'édition danoise pour rentrer en Islande. Mais s'il ne le sait pas encore, c'est vers sa mémoire qu'Ari se dirige, la mémoire de ses grands-parents et de leur vie de pêcheurs du Norofjörour, de son enfance à Keflavík, dans cette ville «qui n'existe pas», et vers le souvenir de sa mère décédée. Jon Kalman Stefansson entremêle trois époques et trois générations qui condensent un siècle d'histoire islandaise. Lorsque Ari atterrit, il foule la terre de ses ancêtres mais aussi de ses propres enfants, une terre que Stefansson peuple de personnages merveilleux, de figures marquées par le sel marin autant que par la lyre. Ari l'ancien poète bien sûr, mais aussi sa grand-mère Margret, que certains déclareront démente au moment où d'autres céderont devant ses cheveux dénoués. Et c'est précisément à ce croisement de la folie et de l'érotisme que la plume de Jon Kalman Stefansson nous saisit, avec simplicité, de toute sa beauté.

Jôn Kalman Stefânsson, né à Reykjavik en 1963, est poète, romancier et traducteur. Son oeuvre a reçu les plus hautes distinctions littéraires de son pays. Sa merveilleuse trilogie composée d' Entre ciel et terre (2010), La tristesse des anges (2011), et Le coeur de l'homme (2013), parue aux Editions Gallimard, l'a révélé au public français et a consacré l'auteur sur le plan international.

L'avis des incorrigibles lecteurs

L’écriture de Jon Kalman Stefansson parle à mon âme. Je ne saurai mieux décrire le ressenti de ce livre sur tout mon être. Ce livre est empreint de nostalgie, de peine, de tristesse. Il y a des passages où j’ai pleuré. En tout cas, une très belle traduction de la part d’Eric BOURY.

Ne cherchez pas de repère de temps, celui-ci n’existe pas, en tout cas, il n’a pas d’importance.

Il y a deux personnages principaux dans ce livre : le narrateur, qui est également le meilleur ami de Ari et Ari.

Ari revient du Danemark après avoir quitté l’Islande suite à une rupture avec sa famille, rupture qu’il a voulue… Et qu’il regrette.

Tout cela, après un colis des souvenirs de la famille qu’il reçoit de son père, avec lequel il n’a aucune affinité et dont les rapports sont inexistants, et d’une lettre de sa belle-mère.

Nous n’en saurons pas plus, en tout cas, pas dans ce premier tome, car à mon avis, il y en aura un second.

Voilà pour la trame…

Le reste du roman est un aller-retour entre les événements d’aujourd’hui et ceux de l’époque de ses parents et également de ses grands-parents paternels.

Ari se remémore la vie de ses grands-parents et de ses parents, ainsi que celle de sa famille, son adolescence, il raconte l’Islande, les paysages grandioses et effrayants à la fois, la mer, la fin de la pêche, le chômage, les hommes et les femmes.

Il dresse le portrait des femmes qu’il a côtoyées, avec la plus grande sensibilité, la plus grande tendresse, le plus grand amour. On pourrait croire qu’il est lui-même une femme, vu la façon qu’il a de décrire leurs émois les plus profonds, leur mal-être, leur solitude, mais également les agressions dues aux hommes.

Hommes pour lesquels il a une certaine tendresse aussi, car ils ne sont pas tous des agresseurs, notamment son grand-père.

Voilà, je ne sais pas si j’ai réussi à vous parler de ce livre comme je l’aurai souhaité. Il y a tellement de choses à dire. Je sais qu’autour de moi, je suis une des seules à avoir aimé cet auteur. C’est vraiment dommage…. Ou pas…, parce que je pourrais penser qu’il l’a écrit uniquement pour moi.

Il faut le mériter, il faut le lire doucement, sans se presser, le déguster comme un bon vin, lire des pages et le reposer pour avoir le temps de penser à ce qu’on vient de lire et le rependre ensuite.

A vous de voir.

Page 187

Une petite vingtaine de garçons forment un cercle autour de l’adolescent dont le pied maintient au sol le corps de la jeune fille qui se débat, ils frappent leurs chaussures sur le goudron et entonnent d’une voix déterminée, aussi caverneuse qu’ils le peuvent : la chatte – la chatte – la chatte ! Leurs cris sont si forts et rythmés que le toit de l’enfer doit trembler.
Ari et moi faisons partie du cercle le plus éloigné…
… Nous mourons d’envie de décamper, de disparaître, mais n’osons pas, nous ne pouvons pas, quelque chose nous retient prisonniers, notre désir de secourir cette gamine, enfin, espérons que ce n’est pas la curiosité de voir ce qui arrivera qui nous retient ici, espérons que ce n’est pas la fascination exercée par ce chœur et ces martèlements, la fascination exercée par la cruauté, espérons que non, mais l’être humain est un animal dont il faut se méfier et l’Histoire renferme un trop grand nombre d’évènements où des gens respectables ont, de leur plein gré, pris part à l’horreur en s’attaquant à des innocents, des évènements où le sourire de l’homme n’exprime que la jouissance que lui procure sa propre sauvagerie. Nous hébergeons tous des démons, la chaleur de notre sang masque notre sadisme, et seule la beauté a le pouvoir de sauver le monde.

Page 254

Il faut toutefois pour combattre l’extrême fatigue bien plus que de belles paroles telles « raison de vivre » et « amour » - parfois, les mots les plus beaux ne sont d’aucun secours -, et cette lassitude extrême se pose doucement sur elle comme un tissu léger qui bientôt la recouvre entièrement, se resserre, s’épaissit et la transforme lentement mais sûrement en une momie vivante…
… Envoie-moi sur la Lune : viennent des semaines en longs cortèges, des mois parfois, sans que la fatigue lui accorde le moindre répit ; elle la recouvre tout entière, l’enferme, la momifie, Margrét rêve qu’on l’envoie sur la Lune pour qu’elle puisse y dormir, se reposer de tout, cette lassitude se change en grains de sable qui lui envahissent les veines, et les jours tendent ses nerfs entre eux pour en faire des cordes tremblantes sur lesquelles les heures interprètent en pizzicato la même rengaine monotone qui parle de fatigue, d’insomnie et de torpeur. Celui qui ne trouve ni sommeil ni repos est incapable de faire quoi que ce soit, la fatigue brouille l’ensemble de l’existence, elle transforme le moindre événement quotidien en colis expédié depuis l’enfer.

Page 386

Cette fille descend du rocher et plonge son pied droit dans la mer, le gauche suit une fraction de seconde plus tard. Le problème est que personne n’est capable de marcher sur la mer, c’est d’ailleurs pourquoi les poissons n’ont pas de pieds…
… L’eau arrive maintenant à mi-cuisse de la gamine qui continue d’avancer, assez lentement, certes, mais avec détermination, comme si elle allait à un rendez-vous important avec quelqu’un là-bas, en haute mer, un marin noyé, un triton. Non mais, qu’est-ce que ça veut dire, répète la belle-mère qui continue de ne rien faire et se contente d’observer de loin comme une froussarde, elle regarde sa cigarette qui se consume en pure perte, se dit qu’elle devrait tirer la dernière bouffée afin d’en profiter, l’approche de ses lèvres, et tout-à-coup elle se réveille, son étrange torpeur se dissipe. Elle comprend que cette idiote de gamine a manifestement l’intention de se noyer, elle a tellement avancé que l’eau lui monte aux fesses, et elle ne s’arrête pas. La belle-mère balance sa cigarette et se met à courir.

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